Sophie Garrec * Correctrice - chroniqueuse - auteure - parolière

Sophie Garrec  *  Correctrice - chroniqueuse - auteure - parolière

En souvenir de ce jour...

 

En souvenir de ce jour…

 

Par un jour de grand soleil, j’invitai ma petite voisine de 92 ans à s’asseoir sur une jolie chaise confortable et solide en osier. Dans mon jardin fané de pessimisme, nous bûmes un thé à la menthe poivrée.

Marthe n’avait pas la langue dans sa poche. Elle me débita drôlerie sur drôlerie et je ris de toutes les dents qu’il me restait encore.

 

Du haut de mes 95 ans et donc de mes trois années de plus qu’elle, je me sentais un peu responsable de son bonheur ; elle qui venait de perdre tragiquement un fils lors d’une épidémie virale à échelle mondiale. Mais je crois que ce fameux jour-là, je n’ai pas été la seule à me sentir responsable…

Ce jour, grâce à la bonhomie de Marthe, je nous ai senties toutes deux dans une relation de dépendance réciproque. Elle avait besoin de compagnie et de réconfort et, en échange, elle m’offrit sourires à profusion et rires endiablés perdus pour moi depuis si longtemps. Cette dépendance a sauté à mes yeux : nous étions elle et moi fortes et fragiles à la fois ; fragiles seules mais fortes ensemble !

 

Oh, tout cela, ce sentiment éprouvé ce jour-là, n’est pas grand-chose, me direz-vous… mais, à nos âges, nous n’avons pas forcément besoin de ce que les autres envisagent pour nous. Les besoins, visibles ou invisibles, compréhensibles ou non, sont différents pour chacun de nous. Alors oui, cela peut paraître futile mais, avoir réalisé à 95 ans que j’étais plus forte entourée que seule, c’est une grande victoire pour moi.

 

Aujourd’hui, on appelle cela de la solidarité. J’ai déjà connu ça quand j’étais plus jeune mais pour d’autres raisons. À l’époque, c’était du matériel surtout car le mental, on n’y prêtait pas trop attention. Il fallait faire avec nos maux et nos détresses psychologiques, tant bien que ces termes existent déjà, je ne sais même pas vous dire…

Bref. Dans d’autres temps, la solidarité n’avait pas forcément de nom. On offrait naturellement et de façon innée l’aide dont chacun avait besoin. Dans certains pays, cette aide est encore une philosophie de vie.

Je suis à la fois triste de voir que, dans notre pays, ce mot est en vogue —est-ce que ça veut dire que cette façon d’agir avait été oubliée ?— et ravie de découvrir à mon âge que cela peut être de l’ordre du bien-être psychologique aussi, état que l’on rechignait à prendre en compte il y a quatre ou cinq décennies.

 

Vous savez, ce jour de grand soleil, assise avec Marthe sur de solides chaises en osier, à rire et à boire du thé, nous n’avons pas fait que cela. Fans de jeux de lettres, nous avons fait des mots fléchés et des grilles d’anagrammes. C’est marrant, nous devions trouver l’anagramme de « solidarité » justement. Marthe avait trouvé « idolâtries » et moi « dilatoires ».

 

En résumé, je vous dirai que ce jour-là, avec Marthe, nous avons constaté nos idolâtries respectives et que nos petites rencontres dilatoires nous permettaient de gagner en espérance de vie ; une fin de vie que nous nous souhaitons maintenant heureuse, main dans la main !

 

Paulette

 

 

Note :

« Solidarité », ce mot dans lequel peuvent s’en décliner d’autres tels « soleil », « solide », « ri », « thé »… évoque communément une "dépendance réciproque" et une "responsabilité" qu’éprouvent les individus les uns envers les autres. À noter que les anagrammes stricts de « solidarité » sont « idolâtries » et « dilatoires », deux termes assez positifs finalement…

Tous ces mots sont à retrouver dans le petit texte ci-dessus.

 

 

03-04-2020

Sophie Garrec



13/04/2020
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